Le Soir Samedi 18 et dimanche 19 août 2012
RIGA, DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL
Propos recueillis par BENJAMIN QUENEL
Pour sortir de la crise, la Lettonie a réussi là où la Grèce a échoué. « Ici, la détermination a été impressionnante ! », s’est enthousiasmée Christine Lagarde, la directrice du Fonds monétaire international (FMI), de passage en juin à Riga, la capitale du petit Etat balte qui, en 2008, était pourtant l’un des plus sinistrés d’Europe. « Au lieu de répartir la douleur sur plusieurs années, le pays s’est uni et a fait ce qu’il fallait faire d’un coup », a-t-elle insisté, louant les effets d’un plan de rigueur que d’autres peinent toujours à mettre en œuvre. Allusion, sans la citer, à la Grèce… « Pendant trois ans, l’ensemble des mesures prises ont représenté un effort comparable à 16 % de notre PIB. C’est énorme ! Aucun autre pays au monde ne s’est
imposé un tel régime », assure Morten Hansen, économiste à la Stockholm School of Economics, l’un des plus réputés centres d’études de Riga. Les coupes dans les dépenses publiques ont été sévères. Les salaires de l’ensemble des fonctionnaires
ont en moyenne été réduits de 25 %. Une chute accompagnée de baisses, certes plus variables, dans le privé. Des hôpitaux et écoles ont été fermés
La TVA est passée de 18 à 22 %.Un impôt sur les plus-values a été créé.
« Une fois décidée, toute mesure était appliquée rapidement. Le budget de certaines
collectivités locales a parfois été réduit de moitié en une nuit ! », raconte, impressionné, un diplomate européen à Riga. Ces draconiennes mesures n’ont pourtant pas provoqué les mêmes manifestations et autres explosions de mécontentement qu’en Grèce. Car le contrat social est différent : syndicats faibles, peu de culture de contestation, pas d’habitude de manifester…
« Ici, on râle dans sa cuisine. Mais on ne descend pas dans la rue », glisse ce même observateur rappelant les « clairs objectifs des autorités : la machine exportatrice,
pilier de la croissance ; la maîtrise des déficits, pilier de la crédibilité ».
Le 13 janvier 2009, Riga a certes connu une inhabituelle soirée de colère. Mais, depuis, rien de plus. Car les Lettons se souviennent des crises des années 1990, bien plus brutales et déstabilisantes. Ils comparent et relativisent.
En contrepartie de cette austérité, la Lettonie a obtenu fin 2008 un plan d ’aide de 7,5 milliards de dollars. Ce programme et cette rigueur, concentres sur trois ans, ont permis d ’assainir les finances de l ’Etat et de relancer l ’economie sur de nouvelles bases. Ce n ’était pas excessif. Le FMI nous a aides a stabiliser le budget. Et nos dirigeants politiques ont retenu les leçons, se rejouit Morten Hansen.
Cette cure est d ’autant mieux passée dans la population qu ’elle suivait trois annees de boom avec forte poussée des salaires et envolée de la consommation.
Une période d ’insouciante euphorie qui, après l ’adhésion a l ’Union européenne
en 2004, a notamment été marquée par une croissance d ’un tiers du PIB en trois
ans (et de 60 %pour le seul secteur de la construction), mais aussi par un recours
excessif aux crédits, par des dépenses publiques incontrôlées, par une forte inflation !
En 2007, nous étions en surrégime. Avec des hausses de salaire de 35 % par an. Et des déficits budgétaires alors qu ’en période de boom, un État bien géré doit afficher des surplus. Ce n ’était pas tenable !, rappelle Morten Hansen qui, des 2007, avait mis en garde les autorités dans un article. Le gouvernement avait alors préféré faire l ’autruche et, le soupçonnant de travailler pour des intérêts étrangers, avait envoyé les services spéciaux l ’interroger.
Plus dure a donc été la chute lorsqu ’a frappé la crise mondiale. Le PIB a plonge de 25 % sur deux ans.
"La population a alors compris qu ’il n ’y avait pas d ’alternative a l ’austerite", explique David Moore, le représentant du Fonds monétaire international à Riga qui, désormais,
pronostique une croissance de 3,5 % pour 2012. Paradoxalement, le FMI a semble presque critiquer la Lettonie pour aller trop loin dans sa thérapie.
"Trop de coupes dans les budgets de maintenance des routes. Trop de pressions sur le système de sante ", estime David Moore.
Résultat : la pauvreté s ’est renforcée.
Selon les estimations du FMI, le chômage se situe actuellement a environ 15 % de la population active et pourrait se maintenir a deux chiffres jusqu ’en 2017.
En 2010, le chômage avait atteint 19 % dans ce pays de deux millions d ’habitants.
Un simple voyage en train a travers le pays confirme les contrastes entre Riga la-
riche et la campagne-la-pauvre. Christine Lagarde a elle-même regrette que
"les 20 % les plus riches gagnent sept fois plus que les 20 %les plus pauvres".
Une seule solution pour beaucoup de jeunes : partir. En quête d ’emplois ailleurs
en Europe, ils seraient quelque 200.000 (soit 10 % de la population) a
avoir ainsi quitte la Lettonie.
Aux yeux des autorités, tous ces sacrifices pour assainir l ’économie ont été imposes
avec un objectif en forme d’idéal : l’entrée dans l ’euro d ’ici 2014. Le gouvernement,
la banque centrale et les principales entreprises du pays (surtout celles
qui sont a l ’exportation) espèrent qu ’en arrimant le pays a la monnaie européenne,
ils favoriseront les exportations. Ils comptent aussi se donner une plus grande
visibilité sur les marches financiers internationaux.
D ’autant plus que le voisin balte, l ’Estonie, est déjà dans l ’euro, depuis le 1er janvier 2011, et que la Lettonie, elle aussi, veut attirer les investissements étrangers.
La population en majorité est certes contre l ’adhésion : tous les jours, les Lettons
lisent les dernières nouvelles de Grèce et d ’autres pays qui pourraient se retrouver exclus de l ’euro. Mais, pour les autorités, l ’euro est un gage de sécurité.
"Plus on s ’intègre a l ’euro et a l ’Europe, plus on s ’éloigne de la Russie", rappelle
aussi Morten Hansen. Car la motivation est profondément politique face a un
puissant voisin toujours intéressé par son arrière-cour post-soviétique. Un argument
qui a aide a faire passer bien des mesures d ’austérité .
Le budget de certaines collectivités locales a parfois été réduit de moitie en une nuit !
ENTRETIEN
Andris Strazds est economiste a la banque Nordea, a Riga.
La thérapie de choc était la seule et bonne solution pour sortir la Lettonie de la crise ?
Le FMI voulait initialement imposer une dévaluation a la Lettonie. Mais, ici, le gouvernement n ’en voulait pas.
D’abord parce que c’était contraire a une entrée a terme dans l ’euro. Et parce
que cela aurait pu entrainer une cascade de faillites d ’entreprise que le
système judiciaire n ’aurait pas pu gérer.
La cure d ’austérité était la bonne solution. D fautant plus que notre économie est très flexible, avec un marche du travail peu rigide. On devait payer le prix d ’une manière ou d ’une autre. Aujourd’hui ’hui, on le paie avec un chômage élevé.
L ’économie lettone a-t-elle change ?
Aujourd’hui ’hui, la structure de notre économie est différente. Elle n ’est plus basée sur la consommation interne comme lors des trois années de boom, mais sur les exportations. L ’adhésion a l ’euro, dans ce contexte, est devenue une nécessité. Car cela permettra de supprimer les couts de change. Cette mutation s ’est effectuée progressivement et naturellement. Avec la chute des marches locaux a cause de la crise, nos entreprises ont été contraintes d ’aller voir a l ’étranger. Leurs exportations
représentent désormais 60 % du PIB, contre 45 % avant la crise. A contrario,
une économie d ’exportation a moins besoin de main-d ’œuvre .
Comme la Grèce, la Lettonie souffre d ’une importante économie grise.
L ’économie grise, avec ce manque a gagner pour l ’État en termes d ’impôts non payes, représente quelque 30 % de notre PIB, un niveau sans doute similaire a celui de la Grèce. Mais cela n fa pas empêché pour autant l ’efficacité
du plan de rigueur. La Lettonie a réussi car elle a concentre les mesures d ’austérité les plus dures sur une courte période, entre fin 2008 et 2010. Dix-huit mois de rigueur choc, de détermination politique. En Grèce, au contraire, tout se fait petit a petit, dans l ’hésitation, l ’indécision et la contestation .
Ici, après l ’adhésion a l ’Union européenne en 2004, nous n ’avons vécu que trois années de boom et d ’excès.
En Grèce, ils vivaient au-dessus de leurs moyens depuis quinze ans.
Autre différence : le niveau de la dette publique reste raisonnable : 40 % aujourd’hui .
En Grèce, le problème est beaucoup plus profond. Enfin, la mentalité est tout autre. Nous avons connu deux graves crises dans un passe récent. Notre population était prête a souffrir de nouveau. En Grèce, au contraire, la génération actuelle n ’a pas
connu la moindre crise économique.
La Lettonie veut adhérer a l ’euro en 2014. Respecte-t-elle les critères de Maastricht ?
Oui. La banque centrale est déjà indépendante.
La dette est bien au-dessous du niveau de 60 % du PIB.
Le déficit budgétaire, grâce au plan du FMI, n ’est plus un problème : cette année,
nous serons sous le seuil de 3 %. Le seul et principal risque aujourd’hui ’hui,
en fait, c ’est l ’inflation. La Lettonie a du mal a contrôler l ’inflation. Car cela
dépend surtout du contexte étranger : les prix du pétrole, les prix dans la zone euro.
Propos recueillis par BENJAMIN QUENEL
La Lettonie : un modèle pour la Grèce ?